
Maison étoilée
Yoann Conte, une histoire « contée de bouche à oreille »
« La Saga des Etoilés de la destination Lac Annecy » se poursuit avec le Chef Yoann Conte, 2 étoiles Michelin depuis février 2013.
Drôlement insatiable, Yoann Conte appartient à la catégorie de ces grands chefs généreux dans l’âme qui transmettent ce qu’ils sont à travers leur cuisine, dans la franchise d’un goût et la vérité d’un échange. Une véritable marmite d’émotions qui s’émulsionne à la surface et fait de gros bouillons juste en dessous, laissant dans son sillon toute une histoire pleine à ras bord.
Aux origines
Son identité, Yoann Conte se l’est forgée dans l’enfance, à la force des épreuves et au rythme des aléas mais sans jamais baisser les bras. À bientôt 51 ans, il jette un regard tendre sur l’enfant qu’il était et un clin d’œil fier sur le parcours accompli. Sa cuisine l’a emmené sur le plus beau des chemins, il prend aujourd’hui ceux de traverse pour se retrouver un peu mais n’oublie aucun des moments clés qui l’ont mené jusqu’ici.
Quelques brèches émotionnelles, un désir farouche de s’exprimer et une sensibilité à fleur, un brin revêche, Yoann Conte a le cœur rempli de tous ceux qui ont traversé son histoire. Des histoires de passage et de coups de foudre, des amitiés outre-terre et des racines nourries à l’essentiel, Yoann Conte a mille et un personnages qui ont croisé sa route.
À commencer par ses grands-mères, l’une en Lorraine et qui possède une maison en Normandie et l’autre en Bretagne qui vit en autarcie et chez qui il séjournera quelques temps, juste le temps que ses parents trouvent leur propre chemin. L’aridité de la vie bretonne et la facette âpre du milieu agricole côtoyée de près, l’éloignement parental et sans doute un sentiment de solitude précoce le marquent.

© Studio Fou d'images / Chef Yoann Conte
Du restaurant ouvrier près de Lunéville que ses parents tiennent seuls, son père en cuisine et sa mère au bar, Yoann garde niché dans un coin de la tête les « odeurs de cuisine et les sourires des convives » et quand l’affaire capote son papa retrouve foi en son métier dans son autre terre coup de cœur, la Haute-Savoie.
Direction Chamonix où il ouvre un nouvel établissement. Yoann Conte retrouve ses parents et se met vite en tête de devenir cuisinier lui aussi. Il faut dire que l’école ne le tient pas dans son cœur et que c’est assez réciproque !
Mais avant cela, il vadrouille, très tôt, part se faire de l’argent comme garçon de piscine en Corse alors qu’il n’a que 13 ans avec l’idée en tête de financer son voyage pour Miami où il veut retrouver son amie Astrid. Et quand il se fait piquer la caisse, invente un système, débrouillardise enclenchée, pour rembourser… Premiers effets d’une cuisine salvatrice, il monte un petit business parallèle de plats de pâtes carbo, histoire de refaire son bas de laine.

© Studio Fou d'images / "Héritage de Philippe à la fée verte"
Sur les traces
Un apprentissage de rue, des étés à Miami, un cœur qui virevolte mais une idée bien plantée dans un coin de la tête dont il sème les graines vivaces en rentrant à l’école hôtelière de Thonon. Les premiers pas pour rejoindre un copain dans les cuisines de Marc Veyrat sont un peu retentissants et s’entrecoupent d’un service militaire dans la marine à mitonner des bons plats simples pour ses potes matelots.
Retour à l’Auberge de l’Éridan où le chef au chapeau vient de décrocher la 3ème étoile. Rythme endiablé et pression au max. Besoin d’air. Électron libre, Yoann Conte continue de voyager, passe par New York et pianote chez les plus grands, Didier Oudill à Biarritz, Thierry Marx à Paris, Pierre Carrier à Chamonix et Laurent Petit à Annecy. Retour en terre lacustre. Et puis, cette fameuse Maison Bleue de Marc Veyrat qui cherche son passage de relais. « Et là, comme dans Les Bronzés, je me dis « oublie qu’t’as aucune chance, vas-y fonce, on sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher » ! ».
Et ça marche ! « Au début nous étions vraiment dans la continuité de Marc et petit à petit, j’ai trouvé mes propres codes. Tout est allé très vite, nous avons obtenu la 1ère étoile en 6 mois, la seconde deux ans après, en 2013″. Après des années à papillonner, Yoann Conte pose enfin ses valises, il rencontre son épouse Élodie qui gère l’ensemble de l’établissement, ils ont deux enfants et fêtent à présent les 15 ans de la Maison.

© Yoann Conte Collection / Elodie et Yoann Conte
Le moment de se repenser. Les plateaux télé d’un côté qui réveillent son âme de gosse, un grave accident de l’autre qui le chahute dans ses envies et le rêve de transmettre sans abandonner qui pointe dans un coin de la tête. Résultante de son hyperactivité, il a mille idées à la seconde comme celle de coupler la haute couture de la Maison Bleue à une cuisine en mode « prêt-à-porter », en itinérance pourquoi pas…
Une vie en rétrospective qui impose des bilans et la Maison Bleue comme un phare qui doit continuer de briller tout en faisant rayonner de nouvelles personnes à l’image de son chef exécutif Julien Valèro ou du directeur de la sommellerie Bastien Debono. S’effacer un peu au profit des autres. Sans jamais rien sacrifier de cette cuisine audace qui colle au personnage.

© Studio Fou d'images / Julien Valéro et Yoann Conte
Dans l’envolée
À la Table de Yoann Conte** et sur les tablées sculptées dans la matière au centre desquelles s’érigent les sommets des montagnes environnantes, la dégustation se conçoit comme une expérience. Avec son côté aubergiste festif et décomplexé, Yoann Conte insuffle une atmosphère particulière à sa table. Celui qui reçoit le titre de Chef de l’année en 2024, sacrée revanche sur la vie, peut aujourd’hui pleinement exprimer ce qu’il est, émotionnellement et humainement, et réconcilier ses origines, entre terres bretonnes et savoyardes.
Avec son menu « Lac et Montagne », il exprime tout le terroir savoyard, les poissons du lac, les salaisons et les fromages d’ici alors que le menu « Effet Mer » lui permet de s’aventurer sur son autre terrain de jeu favori, paysan et maritime, souvenirs émus des tombées de la criée qui laissaient parfois un homard sur le carreau. Un équilibre enfin trouvé, des goûts francs et bruts et des produits sourcés à l’authenticité.

© Antony Cottarel / "Brochet – sans arête, bâton de l'enfance"
Celui qui se plaît à dire que « le cuisinier nourrit l’homme et la cuisine nourrit l’âme » sait que la main de l’homme n’est là que pour magnifier le produit tout en le respectant absolument dans sa pureté et son essence. Ce qui ne l’empêche pas d’assumer un côté très ludique comme il s’amuse à le faire en reprenant quelques symboles gravés dans nos caboches de mômes : la paille d’or framboise et son sorbet Petit Gervais, la marmotte qui emballe le chocolat dans le papier d’alu ou le bocal de Maurice, le poisson rouge fan de mousse au chocolat, sont autant de clins d’œil à ces souvenirs gorgés d’émotions.
Avec son autre table Le Roc, c’est le bien manger accessible qui est prôné, une cuisine sincère qui révèle le produit sans artifices ni superflu et partage avec La Table son sens de l’essentiel.
Alchimie entre la nature et l’art culinaire, Yoann Conte nous livre à travers ses assiettes des bribes de son histoire. Un morceau fondant de brochet sans arêtes, ses petits croûtons de pain d’épices 100% régressifs et les bâtons de réglisse que l’on mâchouillait devant un dessin animé, le milieu herbacé des escargots recomposé dans un jus vert tout plein de fraîcheur ou l’emblématique ris de veau qui trônait sur les tables paysannes sont quelques-unes de ces émotions puisées dans les mémoires et rapportées au temps présent, dans le subliminal d’un goût qui concentre les arômes et les émois.

© Antony Cottarel / "Pigeon – L'aile ou la cuisse"
Dans cet antre de La Maison Bleue, adossée à la cuisine, l’expérience sensorielle se prolonge dans les couloirs de l’hôtel*****, la vue offerte sur les eaux du lac d’Annecy et ses montagnes en surplomb et le fil de l’histoire se tisse autour d’une équipée qui emprunte à son aubergiste en chef ce petit grain de folie qui fait les grands destins.
Restaurant La Table de Yoann Conte
13 vieille route des Pensières – VEYRIER-DU-LAC
Tél. +33 (0)4 50 09 97 49 – +33 (0)6 38 28 05 34
Une autre histoire
Crédit photo haut de page :
- © Studio Fou d’images
Journaliste : Gaëlle Tagliabue