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Florent Héritier

Il était une fois

Renaissance d’un patrimoine viticole

Quand quelques passionnés conjuguent le passé au présent
Avril 2023
6 min.

La vigne, largement présente pendant des siècles sur notre territoire, et jusque dans les années trente, avait fini par disparaître, anéantie par le phylloxéra et la construction immobilière, dont le fruit se révéla finalement bien plus juteux que le raisin !

Depuis quelques années, les vignes se réapproprient peu à peu le paysage sous l’impulsion de quelques passionnés qui, s’ils ne ménagent pas leurs efforts pour réintroduire les cépages oubliés et redonner vie à des parcelles délaissées, ne boudent pas leur plaisir dans cette entreprise.

Les vignes du lac

© Les Vignes du Lac

Ils sont vignerons, viticulteurs, sommeliers, amateurs de vin, ou néophytes. Tous sont animés par la passion du vin et l’envie de faire revivre des terroirs autrefois fertiles en perpétuant un savoir-faire ancestral.

Ils ont pour dénominateur commun le respect du vivant et pratiquent une culture sans engrais chimiques, herbicides ou produits chimiques de synthèse, apportant le plus grand soin à la vigne.

Partage et convivialité sont les maîtres-mots de chacune de ces aventures, où les rendez-vous importants qui ponctuent le cycle annuel de la vigne se concluent autour de quelques bonnes bouteilles.

Veyrier-du-Lac, Menthon-Saint-Bernard, Talloires-Montmin, Villaz, Frangy… on vous embarque pour une échappée viticole.

Catherine Héritier

© Eloa Photographie / Catherine Héritier

Les Vignes du Lac à Veyrier-du-Lac

Elles s’appellent « La Toute Première », « La Deuxième », « La Deux Mille Vingt » ou « Son Altesse Rarissime ». Ce sont les premières cuvées du vignoble de Veyrier-du-Lac, dont les premiers pieds ont été replantés en 2015. Une aventure humaine qui a pour dessein de renouer avec le passé viticole de la région.

Cela faisait déjà quelques années que l’idée germait dans la tête de certains, Pierre Lachenal en chef de file, homme de grands projets à qui l’on doit notamment la reconstruction de l’Espérance 3. Il embarque avec lui quelques passionnés, dont Bruno Bozzer, illustre caviste de la Java des Flacons et sommelier de haute voltige.

Vignes sur les hauteurs de Veyrier-du-Lac

© Les Vignes du Lac / Vignes sur les hauteurs de Veyrier-du-Lac

Le premier coup de bêche est finalement donné grâce à une poignée de propriétaires qui acceptent de mettre leurs terrains devenus inconstructibles à la disposition de l’association naissante. Quelques passionnés en quête d’une respiration œnologique se joignent à l’aventure.

C’est Bruno Lupin, vigneron à Frangy, qui prend la direction technique des opérations et apporte son savoir-faire. Avec mille pieds supplémentaires plantés en 2020, le domaine en compte aujourd’hui deux-mille et s’étend sur un hectare, cultivé en bio.

Les cent-soixante membres que compte l’association s’affairent avec bonheur pour accomplir le travail dans les vignes : tailler, ébourgeonner, désherber, poser des filets de protection contre les oiseaux, les retirer ; et enfin, participer à la grand-messe des vendanges.

« La première année, nous étions cent-cinquante à répondre présents pour les vendanges… qui n’ont duré que cinq minutes, le temps de couper les quelques précieuses grappes que la vigne avait bien voulu nous offrir », se souvient en souriant Bruno Bozzer.

Vendanges de l'associations d'épicuriens

© Les Vignes du Lac / Vendanges de l'associations d'épicuriens

À l’approche de la toute première dégustation, les esprits étaient fébriles, car le pari était risqué, et qu’on est un peu fier tout de même ! Le verdict tombe, par l’entremise de Bruno Bozzer : le vin est bon. Il peut même rivaliser avec de très bons vins d’autres régions de France. 

Environ deux-mille bouteilles estampillées Les Vignes du Lac ont été produites en 2022. Une production qui devrait s’accroître cette année, avec les premières récoltes de la deuxième tranche, mais qui reste encore confidentielle.

Seuls les membres de l’association ont pour l’instant la chance de se voir attribuer quelques bouteilles. Mais l’association est prête à accueillir de nouveaux membres…

 

Domaine Lupin

Dégustation des premières bouteilles

© Les Vignes du Lac / Dégustation des premières bouteilles

Du Domaine des Orchis aux coteaux de Talloires

Philippe Héritier, viticulteur à Frangy et également éleveur d’escargots de renom, s’est lancé en 2022 le défi de replanter un hectare de vignes sur les coteaux de Talloires.

Un projet initié par le propriétaire du terrain, qui en tombant sur de vieilles photos s’est rendu compte que sa propriété était autrefois recouverte de vignes, et encouragé par Jean Sulpice, chef doublement étoilé de l’Auberge du Père Bise, déjà adepte des nectars du Domaine des Orchis.

Philippe Héritier

© Eloa Photographie / Philippe Héritier

Nouveau terroir, nouveau lieu, nouvelle aventure, pour celui qui avait repris en 2007 les vignes de son grand-père maternel à Frangy, qu’il cultive en biodynamie avec l’aide précieuse de sa femme Catherine. S’y épanouissent des cépages autochtones de Savoie : Altesse, dont on fait la Roussette, Mondeuse rouge, mais aussi Mondeuse blanche, un cépage confidentiel un peu oublié.

Dans la mouvance de cette nouvelle génération de vignerons, il a fait le choix de pratiquer une viticulture saine et respectueuse, ou aucun pesticide ni aucune levure exogène n’entrent dans la composition du vin, dont le rendement est maîtrisé – primant sur la quantité – et où toute l’attention se concentre sur la qualité du raisin, qui en remerciement offrira des fruits puissants et gorgés d’arômes.

Le bouche-à-oreille faisant son œuvre, le Domaine des Orchis, qui s’est forgé une belle réputation, figure sur les meilleures tables de France.

Travail de la vigne

© Eloa Photographie / Travail de la vigne

Un succès qui tient en quelques principes de base et que Philippe applique désormais à Talloires : bon sens, travail et observation.

« L’observation de la nature m’a amené à réaliser des expériences et même parfois à déconstruire certaines pratiques. J’ai par exemple expérimenté la taille tardive qui a pour résultat de ralentir la pousse et retarder l’apparition des bourgeons jusqu’à la fin des gelées » explique Philippe Héritier, et de poursuivre : « Il est essentiel d’inscrire le travail de la vigne dans un cercle vertueux, car au final elle nous le rend. Ainsi, herbe et sarments coupés sont redonnés au sol et contribuent à l’auto-fertilité »

Les premières cuvées sont attendues pour 2025… Dégustation à suivre !

 

Domaine des Orchis

De Frangy au Château de Menthon-Saint-Bernard

Comme son frère Philippe, Florent Hériter, du domaine éponyme à Frangy, est petit-fils de vigneron.

C’est à Menthon-Saint-Bernard, fief de sa belle-famille, qu’il exporte son savoir-faire depuis 2018, cultivant en biodynamie 3,5 hectares de vigne réimplantée par ses soins sur les coteaux du château.

Une idée de longue date – un peu folle et peut-être trop belle pour être envisagée autrement que sur le ton de la plaisanterie – lancée à la cantonade lors des balades dominicales en famille, qui fit mouche dans son entourage et dont l’écho enfla jusqu’à arriver aux portes du château.

Florent Héritier

Florent Héritier

Immédiatement séduite par le projet, la famille de Menthon encouragea l’initiative et accepta de louer ladite parcelle au vigneron-paysan.

C’est ainsi que naquit en 2017 l’association Le Clos du Château, qui, au-delà de faire renaître un passé viticole ancestral disparu dans les années trente, s’emploie à mettre à disposition du public et notamment des écoliers du village, un outil pédagogique mettant en lumière le patrimoine local.

Elle compte aujourd’hui plus de 300 amis désireux de participer à l’aventure, ne manquant pas une occasion de mettre les mains dans la terre, répondant présents aux grands rendez-vous, sous l’expertise bienveillante de Florent. Quarante âmes enthousiastes participaient ainsi aux premières vendanges.

Vignes sous le Château de Menthon-Saint-Bernard

© Le Clos du Château / Vignes sous le Château de Menthon-Saint-Bernard

Au quotidien, Florent veille sur ses 8 cépages (Altesse, Mondeuse blanche, Gringet, Jacquère et Viognier pour les blancs ; Mondeuse Noire, Douce Noire et Gamaret pour les rouges) plantés en 3 phases successives : 2018, 2020 et 2021.

Un travail minutieux et passionné pour révéler la richesse de ce terroir dont la situation entre lac et montagnes laisse présager de belles dégustations. Après deux mini-récoltes en 2020 et 2021, la « grande première » eût lieu en 2022. Les premières bouteilles seront commercialisées chez les bons cavistes d’ici quelques semaines.

 

Le Clos du Château

Les Coteaux des Girondales à Villaz

Avant de faire le choix de se reconvertir en vigneron, Francis Rousset a roulé sa bosse, parcouru le monde en solitaire, le meilleur moyen pour faire des rencontres – dont deux mois et demi entre Saint-Pétersbourg et le Japon en passant par Vladivostok -, exercé des métiers divers et variés – dont celui de libraire à Aix-les-Bains, délaissant les livres pour l’ivresse… de l’aventure -, avant de s’expatrier quelques années au Canada avec sa famille… pour mieux revenir dans sa Haute-Savoie natale.

Les vignes du domaine à Villaz

© Les Coteaux des Girondales / Les vignes du domaine à Villaz

En 2016, après une formation à Beaune en viticulture et œnologie et une première expérience du travail de la vigne en Suisse, il entreprend de replanter des vignes, autrefois présentes au hameau actuel Les Vignes à Villaz, sur une parcelle de 3 hectares quand « la paroisse » en comptait 10 hectares recensés sur le cadastre sarde de 1731.

Jacquère, Altesse, Roussanne, Chardonnay pour le blanc ; Gamaret, Mondeuse, Douce noire, Pinot et Persan pour le rouge, sont ainsi cultivés en agriculture biologique. Les premières vendanges ont lieu en 2020 et les premières bouteilles sont débouchées en 2021. Six cuvées sortent des fûts (trois en blanc et trois en rouge), avec des propositions complémentaires, soit un vin d’assemblage, un vin régional et un vin pour toutes les occasions.

Travail de la vigne

© Les Coteaux des Girondales / Travail de la vigne

« J’exerce mon métier comme j’ai aimé voyager »

Esprit libre en quête perpétuelle de nouvelles rencontres, de nouvelles aventures, son métier lui permet de concilier travail en solitaire dans la vigne et moments de partage, comme lorsqu’il ouvre les portes de son domaine à la clientèle chaque samedi matin.

« J’ai l’ambition de voir petit » comme il aime à le dire. « Je m’attache à travailler en profondeur ce que j’ai déjà. Et neuf cépages sur trois hectares, c’est déjà beaucoup. Le travail de la vigne ne connaît pas de routine. Les saisons rythment les soins prodigués et les tâches se suivent sans jamais se ressembler, de la plantation à la vente en passant par la transformation du raisin. J’ai l’ambition de rester sobre, plutôt cocasse pour un vigneron, c’est-à-dire que je préfère rester petit, travailler en bio et local avec l’objectif de fidéliser mes clients, plutôt que de céder à la folie des grandeurs ».

 

Les Coteaux des Girondales

Crédit photo :

  • © Le Clos du Château / Florent Héritier

Journaliste : Aude Pollet-Thiollier

 

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.