0
Retour
Talloires, sur la rive ouest du lac d'Annecy

Il était une fois

Déambulation historique dans les rues de Talloires

Oct. 2023
7 min.

Parmi le chapelet de villages de charme qui s’étire sur les rives du lac d’Annecy, Talloires, surnommé la perle du lac, est certainement l’un de ceux qui attirent le plus de visiteurs.

L’occasion de s’y arrêter et de vous inviter à une escapade hors du temps, avec quelques anecdotes glanées lors des visites guidées organisées chaque mardi durant les mois de juillet et août.

Talloires, sur les bords du lac d'Annecy

© Gilles Piel / Talloires, sur les bords du lac d'Annecy

Un coup de cœur impérial

En 1860, la découverte de la baie fut une révélation pour l’impératrice Eugénie, venue accompagner son époux Napoléon III lors des célébrations du rattachement de la Savoie à la France. Elle se serait écriée : « Mon Dieu que c’est Beau ! ». Pour l’occasion, une fête somptueuse fut organisée et des feux d’artifices furent tirés au passage du couple qui avait embarqué pour une croisière lacustre. Un souvenir « magique » pour l’impératrice, qui en fera mention dans ses mémoires.

Un an plus tard, elle offrit à la Ville d’Annecy « la Couronne de Savoie », un bateau à vapeur de quarante mètres de long destiné au transport des personnes. Cette fête vénitienne est à l’origine de l’actuelle Fête du Lac.

La baie de Talloires, depuis le lac d'Annecy

© Gilles Piel / La baie de Talloires, depuis le lac d'Annecy

Les débuts du tourisme

Dès le milieu du 19ème siècle, et avec le développement du chemin de fer, Talloires, qui correspond au standing et au prestige en vogue à l’époque, commence à attirer nombre d’artistes, intellectuels et personnalités politiques : Mark Twain, célèbre écrivain Américain auteur entre autres de Tom Sawyer, qui décrivit admirablement son séjour à l’Abbaye en 1891 dans ses « Lettres de Voyage* » ; André Theuriet, membre de l’Académie française qui vécut à Talloires et en consacra la réputation touristique en 1890 dans un article du Figaro ; Gabriel Lippman, physicien français inventeur de la photo en couleurs qui réalisa son premier cliché dans le cloître de l’Abbaye en 1902, mais également Winston Churchill & le Président Richard Nixon et bien d’autres illustres personnalités.

L'Auberge du Père Bise, institution de Talloires

© Françoise Cavazzana / L'Auberge du Père Bise, institution de Talloires

Quant à Paul Cézanne, il figure parmi les peintres qui ont immortalisé la baie, et c’est lors d’un séjour à l’Abbaye en 1896 qu’il peignit « Le Lac d’Annecy » ou « Le Lac bleu », actuellement exposé au Courtauld Institute of Art de Londres.

Tableau "Le Lac bleu", de Paul Cézanne

Tableau "Le Lac bleu", de Paul Cézanne

À l’époque, les établissements appropriés pour accueillir et substanter tout ce beau monde ne sont pas suffisamment nombreux. C’est ainsi qu’en 1903, pour y remédier, Marie et François dit « Le Père » Bise fondent l’Auberge qui restera dans la famille durant quatre générations, avant d’être reprise et sublimée par le couple Magali & Jean Sulpice en 2016, et aujourd’hui devenue une institution.

La statue de Claude-Louis Berthollet

Elle trône square Astier, la placette adjacente à la poste et l’Office de Tourisme et fait face à sa maison natale qui est aujourd’hui la mairie. Il jouxte le monument commémorant les Résistants de Talloires. Claude-Louis Berthollet, né en 1748 – rappelons au passage qu’à cette époque le duché de Savoie fait partie du royaume de Sardaigne – devint chimiste après des études brillantes menées entre Annecy, Paris et Turin. Il fut avec Antoine Lavoisier, l’un des premiers professeurs de l’école Polytechnique.

Mais qu’a-t-il bien pu faire pour mériter une statue à Talloires, une autre dans les Jardins de l’Europe à Annecy, et enfin un lycée à son nom ? La découverte des propriétés décolorantes du chlore d’où il tire un procédé de blanchiment des toiles utilisant une solution d’hypochlorite de sodium ; plus simplement, l’invention de l’eau de Javel !

Claude-Louis Berthollet, inventeur de l’eau de Javel

© Aude Pollet Thiollier / Claude-Louis Berthollet, inventeur de l’eau de Javel

L’Abbaye, une histoire tumultueuse

Le Prieuré fut fondé entre 1018 et 1032 par les moines de l’Abbaye de Savigny et de Lyon, par l’entremise de Germain. Il devint Abbaye Royale en 1674. Les moines, qui s’y trouvaient bien, avaient pris leurs aises et menaient une vie dissolue, ce qui provoqua un esprit de révolte parmi la population. François de Sales tenta d’y remettre un peu d’ordre, mais il échoua, accueilli dit-on, à coups de pistolet !

Le monastère a subi de nombreux dommages – dont deux incendies en 1520 et 1670 – avant d’être reconstruit. Mais l’arrivée des révolutionnaires en 1792, déterminés à effacer tout vestige de l’ancien régime lui assénèrent un coup de grâce, le brûlant avec ses archives. On dit que les cloches de son ancienne église abbatiale gisent toujours au fond du lac ! L’histoire est sujette à caution, mais son romantisme cadre à ravir avec le lieu.

Inscription romaine, près du Prieuré de Talloires

© Marie-Paule Rouge-Pullon / Inscription romaine, près du Prieuré de Talloires

En avançant sur le chemin qui mène au prieuré et abrite actuellement le siège européen de la Tufts University de Boston, destiné à accueillir des étudiants durant la période estivale, on peut lire une inscription romaine datant de l’époque où Annecy était une petite ville gallo-romaine nommée Boutae, qui dit ceci : « Caius Blasius de la tribu des Voltinia, a fait don d’une horloge et de l’édifice qui l’abrite, ainsi que de l’esclave chargé de son utilisation pour la somme de 40 000 sesterces » (estimé à environ 30 000 € d’aujourd’hui) !

L’église Saint-Germain de Talloires

Germain de Montfort était un moine Bénédictin à l’Abbaye de Savigny. En 1018, il fut envoyé à Talloires par Ermengarde – suite à la cession du territoire par son époux Rodolphe III, roi de Bourgogne Transjuranne – pour y bâtir un prieuré. Germain devint ainsi le premier prieur de Talloires.

Une fois le travail achevé, il décida de se retirer en ermite dans une grotte à flanc de falaise au-dessus de Talloires où il mena, de 1033 à 1060 environ, une vie de prière, de solitude et de pénitence, influencée par un voyage en Terre Sainte au cours duquel il avait été fortement influencé par les ermites du désert. Ses frères moines lui aménagèrent un oratoire pour célébrer la messe. Une légende dit que des anges l’y emmenaient et le redescendaient chaque jour depuis le prieuré de Talloires ! Il mourut à 96 ans et fut enterré sous la grotte.

Sur les pas de Saint-Germain

© C. Max / Sur les pas de Saint-Germain

Mais l’histoire ne s’arrête pas là puisqu’en 1621, Saint François de Sales, évêque de Genève résidant à Annecy, souhaitant redonner vigueur à la dévotion de Saint-Germain, ordonna la restauration de l’oratoire, qui au fil des améliorations devint chapelle, elle-même rebâtie dans la seconde moitié du 19e siècle dans un style néo-gothique, ayant conservé un maître autel baroque. La paroisse de Saint-Germain-sur-Talloires est créée en 1836 et la chapelle faite église par l’évêque Pierre-Joseph Rey, bien que ne possédant ni clocher ni sacristie. Elle contient les reliques de Saint-Germain. Aujourd’hui, c’est un havre de paix, de contemplation et de méditation qui offre un point de vue à couper le souffle sur le lac.

Une découverte qui peut faire l’objet d’une balade au départ du centre du village de Talloires offrant de sublimes panoramas sur le lac et les montagnes. Itinéraire à retrouver sur votre smartphone grâce à l’application ViAnnecy. Environ 2h30 de marche.

Point de vue sur le lac d'Annecy, depuis les hauteurs de Saint-Germain

© C. Max / Point de vue sur le lac d'Annecy, depuis les hauteurs de Saint-Germain

* Pour aller plus loin et pour le plaisir, un extrait des « Lettres de Voyage » rédigées par Mark Twain, de 1891 à 1892 :

« … Puis au bout d’une heure vous arrivez à Annecy et descendez bruyamment ses vieilles ruelles tortueuses, de tous côtés de vieilles maisons bizarres comme un rêve du Moyen Age, et en fin de compte vous voici au but principal de la promenade – le Lac d’Annecy. C’est une révélation, c’est un miracle. Il est tellement enchanteur que vous en avez les larmes aux yeux. C’est-à-dire qu’il vous touche de la même manière que le fait tout ce qui est parfait –la musique parfaite, l’éloquence parfaite, l’art et la joie parfaits, le chagrin parfait. Il s’étend sous le soleil caressant, bordé de montagnes majestueuses, un plan d’eau rayonnant d’un bleu on ne pourrait plus divin. Ses eaux comprennent tous les bleus, d’un bleu à peine visible et qui se détecte seulement à l’ombre d’un rocher surplombant, qui va croissant mais très doucement, de plus en plus bleu pour devenir enfin ce profond et splendide bleu méditerranéen si beau qu’il risque de vous briser le cœur.

Et les montagnes, comme vous rasez les vagues dans le paquebot, combien les formes en sont majestueuses, combien les proportions en sont nobles, combien les pentes en sont d’un velours vert, combien les remparts rocheux qui les couronnent en sont bariolés par le soleil et l’ombre, combien les immenses bancs de neige lointains – le Mont Blanc entre autres – qui se tiennent entre elles et le ciel se ressemblent aux opales – comment le décrire ? Voire un peintre ne saurait y parvenir, et la plume ne peut que le suggérer.

En haut du lac à Talloires se trouve une vieille abbaye, relique du Moyen Age. Nous nous y sommes arrêtés ; avons franchi le pas de l’eau pétillante et de la hâte et des retentissements et de l’inquiétude et la fièvre du dix-neuvième siècle pour aller à la solennité et le silence et la douce obscurité et le mystère menaçant d’une antiquité lointaine. Sur la marche en pierre au bord de l’eau s’entrevoyait une inscription effacée ; la surface de l’escalier large qui menait à la porte d’entrée était lisse à cause de tous les pieds qui l’avaient piétinée au cours des siècles perdus ; et pas une pierre ne restait entière. Au sein du tas de pierres se trouvait le vieux cloître avec son arcade où les moines des temps révolus s’asseyaient pour méditer et pour recevoir de temps en temps un chevalier errant habillé de son haut-de-chausses en étain, et au milieu de la cour, une margelle de puits découverte dont les pierres étaient lézardées et usées, le tout entouré de mauvaises herbes, où gisaient des morceaux de brique pourris, ceux que les croisés se jetaient dessus. Le passage de l’autre côté du cloître menait à une autre petite clôture couverte de mauvaises herbes et sans toit, où il y avait un mur ruiné habillé jusqu’au sommet avec les masses de lierre et le flanquant il y avait un arc battu et pittoresque. Partout dans le bâtiment il y avait des chambres confortables et des lits confortables et des planchers de planche propres sans tapis sur eux. Dans une chambre en haut il y avait une demi-douzaine de portraits, ternes reliques des siècles disparus – les portraits des abbés qui avaient eu l’habitude d’être aussi grands que des princes en leurs vieux jours et très riches et beaucoup adorés et très saints ; et dans la chambre suivante il y avait un chromo hurlant et une cloche électrique. En bas il y avait une sculpture en bois antique avec un mot latin commandant le silence et il y avait un nouveau piano à côté. Deux femmes françaises âgées, avec les visages les plus gentils et les plus honnêtes et les plus sincères, tiennent désormais l’abbaye et hébergent les gens qui sont fatigués du bruit des villes et veulent être dans un lieu de silence, de sérénité et de paix … [ Elles nous ont donné bien à manger, Elles nous ont bien hébergés et je regrette de ne pas être resté là quelques années de plus pour me reposer. »

Crédit photo :

  • © Françoise Cavazzana

Journaliste : Aude Pollet Thiollier