Eric Prowalski, chef-cuisinier discret et bienveillant
Profession
Quel est votre métier ?
Je suis chef des cuisines aux Trésoms à Annecy, depuis 2011. Je suis certes un cadre de l’entreprise mais ce à quoi j’aspire avant tout c’est fédérer les équipes.
L’établissement possède deux restaurants : La Rotonde, cuisine gastronomique, et La Coupole, réservé à la clientèle de l’hôtel 4*. La vue est surélevée par rapport au lac, c’est ici un moyen de prendre de la hauteur.
On a également un gros volume d’activité avec les mariages et les séminaires. La clientèle loisirs comme la clientèle des séminaires est toujours émerveillée par la magie des lieux. C’est d’ailleurs la partie séminaire que j’ai en premier lieu développée et améliorée. Il n’y a pas deux types de clients pour moi, mais un client à satisfaire. Un homme d’affaire content lors d’un repas de travail sera plus enclin à revenir par la suite en famille et à découvrir la région. Nous sommes là aussi pour mettre en avant le territoire.
© Frédéric Durantet / Chef Eric Prowalski
Vous supervisez donc tout ce qui est préparé en cuisine, pour ces différents pôles de restauration ?
Oui, et je suis formidablement aidé par mon équipe. On forme une brigade d’une vingtaine de personnes, travaillant 7 jours sur 7. Au final, on n’est pas une équipe si importante, mais ça le fait !
Je me repose beaucoup sur mes collaborateurs et les cuisines sont ouvertes 14 h par jour. Je souhaite qu’ils me voient comme une personne bienveillante, attentionnée. Comme beaucoup de chefs, nous avons été formés de manière rigide et nous avons appris par l’autorité. Je tente de sortir de ce modèle et je sais que l’avenir de la profession est là. Madame et Monsieur Droux viennent de permettre à l’ensemble des managers de l’hôtel de suivre une formation sur l’optimisation des potentiels relationnels. Cette formation a été une vraie claque pour moi et me remet en cause. Mais je crois aussi que c’est ce que j’aime : grandir et avancer.
© Studio K / Restaurant La Rotonde des Trésoms
Vocation
Qu’est-ce qui a fait naître cette vocation de chef en vous ?
Mes parents étaient très épicuriens et j’avais déjà un pied en cuisine car ils tenaient un restaurant à Bordeaux. Signe du destin, il s’appelait, et s’appelle toujours, « La Petite Savoie » Ils connaissaient très bien la région car ils venaient se fournir chez les producteurs du coin.
Quand j’ai eu 4 ans, ma mère a été malade et absente de la maison pendant 6 mois. A son retour, elle s’est remise aux fourneaux et j’ai vu le bonheur qu’elle prenait à faire la cuisine, faire les courses et choisir les bons produits. Je voyais aussi le bonheur que ses plats procuraient autour d’une bonne tablée. C’est de là que viennent mes premières émotions culinaires.
Puis pour mes 7 ans, j’ai reçu en cadeau une toque et un fouet. Amoureux de cannelés, j’ai ensuite fait quelques stages d’observation et d’apprentissage chez un pâtissier bordelais à l’âge de 10 ans. Je suis entré dans le monde de la cuisine par le sucré, mais je savais que ce n’était qu’un début…
Parcours professionnel
Un petit mot sur votre parcours, avant d’arriver sur les bords du lac d’Annecy ?
Il m’a fallu attendre l’âge de 18-20 ans après ma formation au lycée hôtelier, pour m’initier au salé sous les ordres de Philippe Etchebest. Quand le chef n’était pas là, il fallait bien que quelqu’un prenne le relais ; c’est à ce moment que j’ai fait mes premières armes.
Puis Philippe m’a parrainé pour entrer au restaurant Le Vernet, 2** à Paris. De par mon envie et ma motivation, j’ai commencé par la boulangerie et fini sous-chef en pâtisserie. Le chef-pâtissier de l’époque est parti et son poste m’a été proposé ; j’ai refusé, préférant un poste en cuisine. C’est ainsi que pendant une dizaine d’année j’ai gravi les échelons au sein de l’équipe d’Alain Solivérès. Ces deux premières expériences ont été essentielles !
A 32 ans, j’avais envie de voler de mes propres ailes et de me rapprocher de mes racines familiales dans le bassin d’Arcachon. J’ai atterri au restaurant La Co(o)rniche. Ça a été mon premier poste en tant que chef, dans un établissement flambant neuf, celui du célèbre Philippe Starck.
L’ouverture de la Co(o)rniche, pensé et designé par Starck, était un événement. De 100 couverts par jour, on est rapidement passé à 500… Mais d’un coup, ce n’était plus le même métier ! Ça ne correspondait plus à ma façon de faire la cuisine : coincé dans l’obligation de réussite, je n’ai pas réussi à interrompre de suite l’expérience et je me suis perdu dans mon projet professionnel. Un instant, je voulais tout abandonner…
Qu’est-ce qui vous a remis sur le bon chemin et redonner goût à la cuisine ?
Mon père ! Il m’a passé un bon savon et m’a ouvert les yeux. Je me suis recentré sur mes objectifs et ma passion. Il fallait que je me remette en question et trouve un établissement correspondant à ma personne, et dans lequel je puisse m’épanouir. C’est ainsi que je me suis présenté aux Trésoms.
Votre entretien d’embauche a donc été votre premier contact avec Annecy ?
Oui. J’avais rendez-vous avec Madame et Monsieur Droux, les propriétaires des lieux. Je savais que c’était un tournant et je suis arrivé avec une heure d’avance. Ils m’ont fait patienter et pendant ce temps-là je me suis posé sur la terrasse et je me suis laissé envahir par la vue avec le lac et les montagnes. Je me souviens avoir appelé mes parents et leur avoir décrit les lieux. Je leur ai même envoyé une photo ! Ce cadre m’a apaisé et m’a permis de passer un bon entretien. J’étais définitivement bien ici et dès les premiers instants.
- Pour la petite histoire, les cuisines des Trésoms ont accueilli plusieurs chefs, dont l’un des plus illustres. Marc Veyrat a fait ici sa première saison de cuisine, avant d’avoir tout le succès qu’on lui connait. Ça devait être au début des années 70, il avait 21-23 ans. Il m’a raconté lui-même cette anecdote lors de la remise du Trophée de l’Innovation Gault et Millau, chez Paul Bocuse en 2015.
© Studio K / Hôtel Les Trésoms
Orientations culinaires
Comment définissez-vous votre cuisine ?
A mon arrivée à Annecy, j’ai pris du temps pour rencontrer les producteurs et les fournisseurs, pour savoir ce qui se faisait, ce qui ne se faisait pas. J’aime discuter et échanger.
C’est ainsi que j’ai rencontré Bernard Curt l’un des derniers pêcheurs professionnels du lac d’Annecy. Serge Carbonell, présentateur d’une émission culinaire sur France Bleu Pays de Savoie a aussi été très important pour moi. Il m’a fait confiance en m’invitant régulièrement dans son émission. Ces personnes ont été des guides bienveillants. Bernard Curt m’a également fait connaitre ses recettes, ses idées d’associations, pour cuisiner au mieux les poissons qu’il m’amène. Au fil de mes rencontres, j’ai réussi à développer un réseau pour dénicher ce qui se fait de mieux. L’échange et le partage de recettes avec mes fournisseurs et mes clients est ce qui me plait dans mon métier.
J’ai ainsi pu monter des plats avec des produits locaux et de saison. N’étant pas du cru, je n’ai pas d’a priori sur les produits et leurs associations : je teste, j’essaie !
Je suis un chef qui n’aime pas se mettre en avant. Je laisse parler le plat, les produits. Tout ce qui se passe autour, les lumières, les éloges, ça ne me ressemble pas. D’ailleurs, j’ai parfois du mal à rentrer en salle ! Je préfère accueillir les clients et regarder discrètement à la fin du repas s’ils repartent avec le sourire. Ma satisfaction est là ; ça me fait plus vibrer d’entendre « votre plat est très bon, l’endive croquante »…
© Matthieu Cellard / Plat du Chef Eric Prowalski
A propos, quel regard portez-vous sur l’arrivée de Jean Sulpice, qui reprend l’Auberge du Père Bise dans la Baie de Talloires ?
Que Jean Sulpice redescende sur les bords du lac d’Annecy, c’est extraordinaire ! Ça va valoriser encore plus l’image du lac. C’est un chef de la région et qui aime sa région, formé par les meilleurs chefs dont Marc Veyrat. Nous sommes sur une terre d’étoiles.
Je suis ravi car une clientèle internationale et nationale va venir découvrir sa cuisine et donc découvrir également le lac d’Annecy. C’est une bonne chose : pour l’économie locale, le tourisme et la gastronomie. Je serai un des premiers à redécouvrir les lieux et manger au bistrot 1903 et au restaurant gastronomique. Je pense qu’il va tout faire pour retrouver ses 2**, voire atteindre les 3*** que l’établissement a déjà obtenues par le passé.
Votre regard sur le monde des chefs-cuisiniers ?
Avant, les chefs étaient des graisseux. Les personnages dans la lumière étaient les maitres d’hôtel, les majordomes, les maîtres de maison. Avec l’avènement des Robuchon, Bocuse, Ducasse, les chefs sont devenus des stars. Personnellement, je préfère rester en retrait et laisser le chef de salle présenter et faire vivre les plats. La cuisine est un métier et la salle en est un autre. Mais tout cela fait partie du travail d’équipe
Passions
En parallèle de mes études hôtelières, je jouais au handball au poste de pivot. Je n’avais pas le gabarit recommandé, mais je faisais l’affaire par ma pugnacité. J’ai aussi fait du judo : je suis ceinture noire 1ère Dan.
Je fais aussi un peu de course à pied et avec les équipes nous avons participé au semi-marathon ou au 10 km d’Annecy.
Le peu de temps libre que j’ai actuellement, je le passe avec mes trois enfants. Plutôt que de penser à moi, je pense à eux : je me mets en stand-by au niveau sportif. Je me donne assez physiquement en cuisine. Comme j’ai l’habitude de le dire, je fais deux matchs par jour et je n’ai pas le droit de les perdre. C’est très intense. A la sortie on est jugé en direct.
Mais ma vraie passion c’est la cuisine, c’est là que j’ai le plus de plaisir. Je suis toujours à la recherche de quelque chose pour ma cuisine : des herbes ou une ferme en promenade, goûter du pain et chercher la meilleure boulangerie. J’aime les bonnes choses et les personnes derrière qui les ont faites.
-
© Matthieu Cellard / Plat du Chef Eric Prowalski
-
© Matthieu Cellard / Plat du Chef Eric Prowalski
-
© Matthieu Cellard / Plat du Chef Eric Prowalski
Questions
Votre lac d’Annecy en 3 mots ?
Apaisement. Calme. Vacances.
En sortant de ma cuisine et des coups de feu, je me retrouve aussitôt apaisé et plus calme, parfois juste en prenant la voiture et en longeant le lac. La porte du restaurant poussée, on a l’impression d’être en vacances : promenade au Semnoz, plage, ski… L’établissement étant ouvert toute l’année, j’y suis constamment présent. Mes vacances se passent donc presque toutes ici, et il y a tellement à découvrir…
Votre saison préférée ?
J’aime cette région parce qu’elle a 4 saisons marquées. C’est unique, car chaque saison est en fait une découverte. Pour moi qui ne suis pas d’ici, je découvre la flore, j’apprends à connaître le lac tout au long de l’année, les paysages. J’ai peur de ne pas avoir assez de temps pour tout découvrir. Je prends beaucoup de photos car tout est magnifique ici.
Votre plat préféré ?
La raclette, mais avec du reblochon. Un reblochon fermier. Ça me rappelle des souvenirs d’enfance avec mes parents !
Votre expression locale ?
Gran maci !
Votre événement emblématique ?
Le classique, c’est la Fête du Lac.
Aux Trésoms, on est vraiment aux premières loges de ce spectacle pyrotechnique et féérique. Je n’avais jamais vu ça auparavant, avec ce lac qui double les effets de chaque feu.
Votre petit coin de paradis ?
Une baignade nocturne à la plage de Duingt, à la fin de mon service. J’ai fait ça l’été dernier avec mon grand fils. Vers 23h30, on était tous seuls avec la pleine lune…
Une belle journée en famille ?
J’ai trois enfants de trois âges différents. Un coin idéal est donc un lieu accessible pour tous. J’aime sortir sur le Sentier des Roselières à Saint-Jorioz : le petit en poussette poussé par papa et maman, le moyen sur son gros tracteur et le plus grand sur son vélo. J’aime bien également me promener dans la Baie de Talloires.
A ne pas manquer avant de partir d’ici ?
La vieille ville d’Annecy, avec la promenade le long du Thiou, et les bords du lac sur le Pâquier ! Avec une glace ou une crêpe, c’est génial. On passe du vieux quartier et son ambiance historique à un panorama lacustre extraordinaire.
Votre leitmotiv ?
Etre heureux. Non ; plutôt, rendre les gens heureux. Je crois que je sacrifierais mon bonheur pour faire celui des autres.
Le prénom Eric peut vouloir signifier « chef éternel ». Qu’en pensez-vous ?
Chef, je prends. Eternel, je laisse ça à mes enfants et à leurs descendances.
De quel Eric célèbre vous sentez-vous proche : Clapton, Cantona, Tabarly ?
Tabarly. Comme lui, je ne me vois pas vivre vieux. Les gens bons partent trop tôt. Alors je profite de chaque instant : c’est mon objectif de vie. Partagez, aimer, transmettre, être bienveillant !
Conclusion, ambition et motivation…
Votre futur ?
Ma grande satisfaction de ce début d’année est d’avoir obtenu avec toute l’équipe, 3 toques au Gault & Millau 2017 avec la note de 15/20. C’est très bien d’être dans le classement gastronomique du guide jaune.
A tout juste 40 ans passés, mon but est de me poser et d’être heureux, tout en me fixant des challenges et des objectifs. Les Trésoms répondent à tous ces critères. Il y a du respect et de la fidélité entre les propriétaires de l’établissement et moi. Il y a du budget : j’ai une large autonomie pour gérer les cuisines, comme si c’était ma propre affaire.
Le guide Michelin, un objectif ?
Je ne recherche pas forcément la course aux étoiles, même si j’y ai été formaté durant mon parcours. Je veux que les gens repartent de table avec la banane ! Attention, je ne crache pas dans la soupe ; si un jour on est reconnu dans le guide rouge Michelin, je serai le plus heureux des hommes !
C’est un objectif personnel pour me montrer de quoi je suis capable. Pour les Trésoms, ça serait effectivement un plus mais pas une finalité : la croissance est positive, les clients sont satisfaits… Mais s’il n’y pas d’étoile, je ne suis pas sur un siège éjectable. Tous les voyants sont au vert pour que je puisse encore m’exprimer longtemps ici ; Madame et Monsieur Droux me font confiance et me donnent les moyens de m’exprimer librement.
Verra-t-on un jour un restaurant au nom d’Eric Prowalski ?
Je ne pense pas. J’ai toujours été chef non-propriétaire. J’ai été formaté ainsi et je ne me vois pas faire autrement. Par contre, je vais repasser le concours du MOF (Meilleur Ouvrier de France). J’ai toujours fait et aimé les concours, même si je n’ai pas l’esprit compétiteur.
Un petit mot pour la fin ?
Je suis très heureux et très fier de l’intérêt que les gens me portent. Pourtant, il ne me semble être qu’une personne lambda qui essaie de faire au mieux son métier, grâce à des produits, des échanges et des rencontres.
Dans cette idée de transmission, je m’investis également avec le CFA de Groisy. Claude Bocquet, boucher à Annecy, m’a fait découvrir ce lycée professionnel et j’interviens pour des challenges, des travaux ou pour faire le jury.
Pour conclure, je dirai que je suis conscient d’être légèrement boulimique ; je préfère avoir une vie dense et courte où je vis mes passions…
Janvier 2021
Le Chef Eric Prowalski, à la tête du restaurant La Rotonde des Trésoms, obtient sa 1ère étoile au Guide Michelin.